Recours aux pesticides : quels risques pour les terres agricoles ?
Les pesticides sont des substances utilisées par l’agriculture pour contrôler ou détruire les organismes indésirables. Le mot est issu de la langue anglaise. Pest évoque un ravageur. Les pesticides occupent une place importante dans les traitements de l’agriculture conventionnelle, mais aussi biologique. Leur action vise à accroître les rendements des terres agricoles par le biais d’insecticides, herbicides ou encore fongicides. Mais quels sont les risques pour les terres agricoles ?
Stockage des produits pesticides par les sols
Fermer les yeux sur la durabilité de la présence des pesticides dans les sols agricoles est une erreur qui a été faite pendant de nombreuses décennies. Mais depuis quelques années, les consommateurs et agriculteurs prennent conscience des conséquences lourdes d’une utilisation des pesticides sur les terres agricoles.
La pollution durable ancienne des terres agricoles
Sournoise et insidieuse, la pollution des terres agricoles est difficile à quantifier et n’est pas visible à l’œil nu. Durant les dernières décennies, les agriculteurs ont usé avec peu de parcimonie des engrais et pesticides afin de lutter contre les ravageurs et les organismes indésirables, mais le retour de bâton ne s’est pas fait attendre. Les pesticides ont pollué les sols durablement et ont appauvri les terres tout en détruisant la biodiversité. Les pollutions anciennes pèsent encore sur la vitalité de nos terres agricoles. Les produits phytosanitaires s’imprègnent dans les sols et s’installent pour de longues années.
En pulvérisant ou en nourrissant le sol de pesticides, nous avons oublié que ces produits ne sont pas biodégradables et que, petit à petit, la richesse des terres agricoles allait être étouffée. À l’agriculture intensive, nous avons ajouté des hydrocarbures avec l’utilisation de véhicules polluants, mais aussi l’impact de l’industrialisation et des pluies acides qui retournent dans les sols.
Les POP (Polluants Organiques Persistants)
Les Polluants Organiques Persistants englobent les substances organiques qui sont liées à des propriétés bien spécifiques. Ces polluants sont catégorisés ainsi :
- Ils sont persistants : l’environnement n’est pas capable de les éliminer rapidement. La dégradation des différents éléments polluants se fait très lentement.
- Ils sont bioaccumulables : les composants polluants s’accumulent dans les sols, mais aussi dans les organismes vivants.
- Ils sont toxiques : l’utilisation des pesticides entraîne des conséquences nocives et dangereuses pour les êtres vivants et les végétaux.
- Ils sont mobiles : il a été constaté que les produits polluants rejetés n’étaient pas contenus uniquement dans les sols du point de rejet, mais qu’ils se répandent sur des distances très importantes. Les sols ruissellent, sont retournés et communiquent avec les nappes phréatiques ou rivières qui transportent les produits polluants sur d’autres zones.
Les POP sont des résidus de pesticides et de produits phytosanitaires que l’Homme utilise pour essayer de dompter la nature. Il est temps de comprendre que l’effet invisible des pesticides est en train de détruire notre environnement et que les impacts se répercutent tant sur la santé humaine qu’animale, mais aussi sur la sécurité alimentaire.
Pour contenir l’expansion des POP, les Nations Unies et l’Union Européenne ont élaboré la Convention de Stockholm en 2001, puis le protocole d’Aarhus en 2003. Ces textes ont pour but d’informer et de réduire, voire d’éliminer, les POP d’origine industrielle, ainsi que les substances polluantes rejetées dans l’environnement.
Pollution indirecte des eaux
Les terres agricoles polluées induisent également une pollution invisible des eaux. L’agriculture et l’utilisation de pesticides et produits phytosanitaires sont le vecteur d’une pollution des eaux souterraines, mais aussi des rivières et fleuves. Le constat est effarant. Prenons l’exemple de la prolifération des algues vertes en Bretagne. Pas moins de 50 000 tonnes de ces algues sont ramassées sur les plages bretonnes. L’impact des pesticides est fort sur le tourisme, mais il est bien plus important sur la santé humaine, animale et sur l’environnement.
Lorsque les algues se décomposent, elles produisent un gaz particulièrement toxique d’hydrogène sulfuré. Puissant poison, le gaz peut tuer très rapidement. Arrêts respiratoires, morts d’animaux et intoxications sont constatés à la suite d’une mise en contact avec cette algue verte et ce gaz violent. L’algue verte est naturellement présente sur le littoral français. En revanche, sa croissance exponentielle est liée à l’usage des engrais appliqués pour la fertilisation des sols, mais aussi à cause des déjections des animaux élevés intensivement. L’azote présent dans ces éléments favorise la croissance du nombre d’algues vertes.
Côté pollution des sols et des eaux, il est incontournable d’évoquer le cas chlordécone. Cet insecticide luttant contre le charançon du bananier a été largement pulvérisé entre 1972 et 1993 sur les plantations de bananes en Guadeloupe et en Martinique. Les effets du chlordécone sont encore notables quelques décennies après la dernière pulvérisation. Les eaux de Martinique restent empreintes de ce pesticide violent et continuent à disséminer les ingrédients chimiques dans les eaux de ruissellement et dans les cours d’eau des îles.
Quelques chiffres clés
Dans les années 1950, un hectare du sol agricole français comptait environ deux tonnes de vers. De nos jours, il n’en reste que 200 kg par hectare.
D’ici 2050, la biodiversité aura décliné entre 37 et 46%.
66% de la pollution des eaux est due aux nitrates utilisés par l’agriculture.
Impacts néfastes sur la richesse du territoire
Les eaux polluées et les terres souillées sont un environnement aussi nocif pour l’homme que pour les animaux, organismes vivants et végétaux.
Disparition de certaines espèces animales
Hubert Reeves, astrophysicien et parrain de l’Agence Française de la Biodiversité, s’est exprimé sur la disparition des espèces animales indispensables à l’équilibre de notre environnement. Cela peut prêter à sourire, mais les populations de vers de terre sont exterminées par l’utilisation des pesticides, engrais et divers produits sanitaires. Anecdotique ? Pas tant que cela ! Les vers de terre fertilisent nos sols et les oxygènent. Ils sont des acteurs invisibles d’un bon rendement des terres agricoles. En les annihilant, l’homme est en train d’appauvrir les sols, mais aussi de modifier les cycles de biodiversité.
Concernant la disparition des espèces animales, le CNRS et l’INRA ont effectué des recherches sur 15 000 parcelles depuis 25 ans afin d’étudier le changement des pratiques agricoles et l’impact sur les paysages et populations animales. Il s’avère que depuis le début de cette observation, les scientifiques et experts ont constaté que les insectes étaient en phase rapide de déclin et de disparition. Ils ne sont pas les seuls atteints par l’utilisation des pesticides.
En détruisant les insectes, les oiseaux qui se nourrissent de ces insectes meurent petit à petit par manque de nourriture. Il est aussi important de comprendre qu’en tuant les abeilles et les papillons, l’homme se prive de pollinisateurs indispensables au renouvellement de la biodiversité.
Extermination de plantes non cultivées et nécessité de conserver la biodiversité
L’agriculture a fait de l’extermination des « mauvaises herbes » un fer de lance. Pour l’agriculture conventionnelle, les herbes sauvages doivent être maîtrisées, voire anéanties afin de ne pas gêner la pousse des végétaux cultivés. Il est pourtant grand temps de prendre conscience que ces herbes sauvages affublées du terme « mauvaises herbes » sont des éléments indispensables pour garantir la qualité des sols, mais aussi pour les habitats qu’elles offrent aux auxiliaires.
Ces adventices sont traquées et pulvérisées pour être exterminées. Elles sont toutefois utiles pour la protection de la biodiversité et sont très appréciées par les coccinelles, les chrysopes ou encore les mésanges.
La biodiversité implique une recherche d’équilibre de l’environnement et de ses habitants. Les plantes non cultivées sont supprimées alors qu’elles aident à régénérer les sols et nourrissent les espèces vivant dans le sol. Ces plantes assurent la transformation des matières en minéraux et favorisent la décomposition de certaines matières organiques. Ces plantes non cultivées ont une véritable utilité pour les terres agricoles et doivent trouver leur place dans les plantations.
Les sols agricoles sont capables de résister à la violence des pesticides mais uniquement jusqu’à une certaine limite. Si l’agriculture intensive évolue encore, les sols seront totalement exsangues et ne produiront plus. Les méthodes d’agriculture doivent impérativement changer en prenant en considération la nécessaire biodiversité et l’interactivité entre les différents organismes vivants.
Effets sur les plantes cultivées
Mauvaise fixation de l’azote et interférence avec signaux chimiques
L’action des pesticides démontre une contre-production à cause de la mauvaise fixation de l’azote liée à ces produits. Les plantes ne grandissent plus de manière efficiente. Les pesticides rendent quasiment inutile une partie des fertilisants. Ils impactent la fixation de cet azote indispensable à la bonne croissance des plantes. Pour s’épanouir, la plante s’appuie sur la diversité des bactéries et des rhizobiums. Ces deux éléments sont indispensables pour une fixation optimale de l’azote. En les détruisant, la plante éprouve plus de difficultés à fixer l’azote et par conséquent à croître.
Mais les pesticides ne s’arrêtent pas à cela. Les végétaux qui sont immobiles ont développé des signaux chimiques afin de communiquer et échanger des informations en vue de se protéger et croître de manière la plus efficace. Mais les pesticides empêchent ces signaux chimiques et viennent les perturber. La plante est capable de s’adapter aux ravageurs en développant des molécules et transmet l’information aux autres plantes. Or, le pesticide empêche ce processus de défense et de veille informative.
Les maladies iatrogènes
Est-il possible qu’à force d’application de pesticides et autres produits phytosanitaires nous ayons pu modifier les métabolismes des plantes ? Les fabricants de produits phytosanitaires ont développé des pesticides tels des apprentis sorciers en ne prenant pas en compte que la nature pouvait réagir en fonction de ce qu’on lui donnait. Francis Chaboussou nous alerte dans son livre Les plantes malades des pesticides, édité une première fois en 1980. Travaillant pour l’INRA, il met la lumière sur la prolifération des maladies et des ravageurs, mais aussi de la réponse à force de produits phytosanitaires.
L’usage des phytosanitaires a modifié l’équilibre métabolique des plantes qui les rendent vulnérables aux parasites et acariens phytophages. De plus, les plantes cultivées sont noyées par un apport excessif d’azote pour une croissance plus rapide et pour la prévention des maladies. On soigne avant que le problème ne soit réellement présent. Puis le végétal craque face à cet afflux de nourriture et de médicaments. L’excès de soins déclenche alors des maladies iatrogènes. Ce type de maladies est lié à l’usage massif d’un médicament ou d’un soin phytosanitaire. Le serpent se mord donc la queue. En appliquant des soins préventifs, l’agriculteur crée également des maladies et des failles qui vont atteindre les plantes cultivées.
La pollution des sols est constatée par les différentes études scientifiques réalisées depuis plus de trente ans. Cette pollution invisible est nocive tant pour la santé de l’homme mais aussi des animaux et de la vie dans les sols agricoles.
- Les acteurs de l’agriculture française commencent à prendre conscience de l’impact des choix faits par le passé en matière de méthodes agricoles.
- Un état des lieux de la pollution des sols est réalisé régulièrement afin d’estimer l’évolution.
- Depuis 2006, « Directive sols » a été adoptée par le Parlement Européen pour lutter contre la dégradation des sols et la protection de la qualité des terres agricoles.
- L’agriculture biologique est autorisée à utiliser 106 substances qui s’avèrent parfois nocives et non biodégradables.
- L’appauvrissement des sols est en constante évolution et la biodiversité est en déclin depuis 30 ans.
- 60 % des sols français sont tellement fatigués qu’ils sont presque inutilisables pour l’agriculture.
Food and Agriculture Organization (FAO) : Le colloque international sur la pollution du sol
Euractiv : La dangerosité des pesticides bio pointée du doigt